Michelle Magrou, par Viviane Fines
Michelle Magrou, qui de vous se souvient d’elle ?
Peut-être ceux qui ont fait le stage de "l’Ile" sur la péniche, elle y était responsable des costumes, et les anciens étudiants de l’IGH, où elle a fait de nombreuses interventions en arts plastiques.
A partir de 1975, elle a beaucoup travaillé aux Ateliers du Théâtre pour les costumes et les éléments de décor. J’ai pu alors apprécier son humour, sa finesse, sa grande culture, et nous sommes devenues amies ; mais pour éviter le ton hagiographique, c’est à travers son travail, théâtre et peinture, que je veux l’évoquer. Je commence par le théâtre et par les conseils techniques qu’elle m’a donnés pour réaliser des costumes.
Quand elle a décidé de se consacrer entièrement à la peinture, Michelle m’a dispensé une formation express et sur le tas à l’occasion de mes deux premières mises-en-scène. J’ai eu l’impression d’apprendre beaucoup en peu de temps, et je voudrais partager cet héritage avec vous.
Règles techniques: illustrées par les maquettes de Michelle pour le Théâtre ambulant Chopalovitch, de Lioubomir Simovitch
-Se faire raconter la pièce par le metteur-en-scène, afin d’accorder le travail du costumier avec le sien.
-Choisir une palette de couleurs, correspondant à la tonalité générale de la pièce et à chacun des personnages.
-Dessiner les maquettes.
Les formes doivent être très visibles, soulignées. L’un des maîtres de Michelle, André Acquard, doublait tous ses costumes de mousse pour accuser les formes et les volumes. « Il faut travailler pour le dernier rang des spectateurs ».
-Choisir les tissus ; exclure absolument le brillant, car on doit anticiper sur l’effet des éclairages, qui rendront les tissus brillants très clinquants ; de même éviter le blanc trop blanc, et les matières trop lisses qui font «flaque » sous les projecteurs. En revanche les lainages (e.g. les jupes des femmes faites avec des couvertures CREPS en photos dans ce blog dans les articles sur Gosta Berling) attrapent bien les lumières et font de belles ombres.
A cause de ces ombres qui ne seront révélées que lors de la couturière (pré-représentation d'un spectacle où tous les costumes quasi achevés sont portés par les comédiens n.d.l.r.), il est bon de privilégier les tissus qui « tombent bien », c'est-à-dire qu’ils font naturellement de beaux plis.
En ce qui concerne les motifs, certains comme les carreaux ou les grosses fleurs se voient trop et monopolisent le regard, alors que de tout petits dessins se fondent de loin, tout en animant la surface.
-Une fois la couture faite, on doit souvent souligner, souligner, rajouter des détails, car le costume de scène se regarde de loin. Les galons de passementerie se montrent très utiles. Ceux qui ont du volume joueront bien dans la lumière. On peut marquer des accents par des contrastes de couleurs (la complémentaire par exemple) ou de nuances (très clair ou très foncé).
Michelle repeignait souvent ses réalisations à la bombe pour faire ressortir les volumes ou effacer des motifs envahissants.
C’est un travail un peu impressionniste. De près, on voit parfois des taches ou des matières incongrues (emballages de fruits ou légumes par exemple) et de loin, ça rend l’effet voulu. Un des principes fondamentaux est justement de « partir de la peinture », c'est-à-dire s’inspirer des tableaux.
Pour La Ronde, par exemple, je me suis inspirée du peintre James Ensor:
Malgré ma volonté de sobriété, je dois quand-même dire que Michelle était une pédagogue extraordinaire. Un de ses grands atouts, c’était son vocabulaire. Elle savait dire les choses avec exactitude, et pourtant elle parlait souvent par images, mais d’une manière subtile et précise.
Tous les costumes qu’on voit sur les photos des spectacles des Ateliers (article sur le blog), ont été réalisés par elle ou sous sa direction.
Il y a peut-être une vingtaine d’années, des stagiaires de Michelle, Mona et Raphaël Pons, ont monté Fando et Lis, une pièce d’Arrabal ; Michelle avait fait des costumes et des décors très poétiques ; et le spectacle a obtenu le prix du « off » au festival d’Avignon.
Pour conclure de manière moins solennelle, j’évoquerai l’aventure que certains se rappellent sûrement. Lors du premier stage de l’Ile, à Neuilly, Michelle a découvert dans les réserves de l’IGH une vielle robe de soie qu’elle a déchirée en lanières pour nous faire des couronnes de fleurs. Arrivée à l’étiquette… elle a vu que c’était une robe de Paul Poiret ! C’était drôle ; mais Michelle était épouvantée de ce qu’elle avait fait…
Reste la peinture... Mais je vous raconterai ça une autre fois.
Viviane Fines